Commentaire décret du 27 mars 2020

Le décret du 27 mars 2020 : Rupture ou continuité en matière de réparation du dommage corporel ?

Le 27 mars 2020, alors que notre pays et la puissance du monde sont écrasés par un virus, le gouvernement publie, en toute discrétion, un décret qui pourrait influencer de manière conséquente le droit à indemnisation des victimes.

Ce décret apparait en effet bien plus important que ce que laisse penser son intitulé abscond « Création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé DATAJUST ». L’objectif qu’il poursuit est, en réalité, l’élaboration, par le biais d’un algorithme, d’un « référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels ».

Le premier réflexe des avocats de victimes pourrait être un reflexe de défiance et de rejet et ce, tant au regard de son objet que de la méthode employée. On pourrait en effet être tenté de penser que le gouvernement cherche à faire passer, en catimini, un instrument lui permettant de fixer par avance les indemnisations des victimes ; en conséquence de priver d’intérêt toute discussion judiciaire et ainsi de désengorger les tribunaux.

Ce décret mérite cependant d’être lu attentivement et à la lumière des dernières évolutions en matière de dommage corporel afin d’en mieux cerner la portée.

Le principe est, il est bon de le rappeler, la protection de la victime, véritable principe général du droit commun à tous les ordres judiciaires comme administratifs. Il implique le droit pour la victime à la réparation intégrale de tous ses dommages. Il s’agit de replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant la survenance du sinistre.

Pour ce faire, des notions centrales, ont été juridiquement élaborées et précisées et constituent aujourd’hui de puissants outils. Le Code de l’action sociale et des familles, en son article L.114-1 issu de la loi de février 2005, a notamment précisé la notion essentielle de handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

La matière a fait encore un grand pas en avant, vers plus de justice et plus d’efficience, lorsque, après des années de divergence, les juridictions civiles et administratives ont fini par s’accorder, sur l’application de la nomenclature Dintilhac, référence de l’évaluation des postes de préjudices. Cette nomenclature, issue des travaux d’une équipe multidisciplinaire sous l’autorité de Monsieur Dintilhac, magistrat à la Cour de cassation, a créé un outil de travail commun à tous les professionnels visés par le décret. Elle détaille ainsi scrupuleusement les préjudices patrimoniaux temporaires et permanents, les préjudices extra patrimoniaux temporaires et permanents mais également les préjudices exceptionnels. 

Apparait ici l’une des critiques que l’on peut faire au décret qui semble avoir omis cette dernière catégorie de préjudice. Si cet oubli n’est pas réparé par le gouvernement, les avocats de victimes, pour leur part, ne manqueront pas de faire valoir ces préjudices face aux assureurs et aux magistrats.

Le décret semble avoir également oublié un point fondamental relatif à l’évolution de la situation de la victime, ce que nous appelons l’aggravation situationnelle. En effet, l’indemnisation ne saurait être une image figée à un instant T et doit s’inscrire dans une logique pour reprendre un des termes employés par le décret. C’est ici également un poste de préjudice fondamental qui semble avoir été laissé de côté, mais une nouvelle fois, les avocats de victimes sauront le rappeler à leurs différents interlocuteurs.

Malgré ces deux oublis, le décret semble toutefois s’inscrire dans la logique fondamentale qui veut que l’indemnisation d’une personne victime doit prendre en compte toutes ses composantes.

Surtout, le décret consacre indirectement un principe qui découle de l’importante technicité de la matière : la question de l’indemnisation du dommage corporel doit être impérativement traitée par des professionnels qualifiés, spécialisés, à savoir les avocats et les assureurs. Le décret confirme en effet le rôle essentiel de l’avocat dans le processus de réparation et sa place centrale entre la victime et l’assureur.

Nul autre que ces deux catégories de professionnels, citées par le décret, ne saurait conseiller valablement la victime.

L’algorithme aboutira probablement un outil utile à la réflexion mais il ne remplacera jamais les doléances de la victime. On peut en effet raisonnablement espérer que l’algorithme, loin de restreindre les possibilités d’action de l’avocat constituera, pour celui qui saura l’utiliser, et à l’instar de la nomenclature Dintilhac, un outil utile aux victimes garantissant un peu plus la sécurité juridique de leur indemnisation.

Un algorithme ne saurait conduire à nier la spécificité de chaque victime qui trouvera toujours sa place, principale et principielle et ce, que ce soit dans le cadre des modes amiables de règlement avec les assureurs ou devant les juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire.

Le présent décret ne saurait notamment éluder l’importance, dans la démarche indemnitaire, des expertises médicales amiables et surtout contradictoires. Ces expertises, dont la réalisation doit être menée par et avec tous les professionnels qualifiés de la réparation corporelle, mettent à chaque fois en évidence la spécificité de chaque victime, son vécu et son projet de vie. C’est lors de ces expertises que sont mises en évidence les séquelles personnelles immédiates, mais aussi prospectives de la victime, la vie ne devant pas s’arrêter à la date de l’accident.

Si la nomenclature Dintilhac n’a pas tué le rôle de l’avocat, ce n’est pas un « référentiel indicatif d’indemnisation » qui le fera disparaitre. L’outil ne saurait être mauvais en soi, tout dépend de l’usage que l’on en fait. 

Comme toute création législative, seule l’expérience révélera l’efficience du texte ou ses approximations, mais gageons que les acteurs de la réparation que sont les avocats, les assureurs et les magistrats, sauront tout naturellement adapter leur pratique dans l’intérêt primordial de la personne blessée, qui nous demande aide et assistance.

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